Le droit au bail fait partie du fonds de commerce : c’est le droit du commerçant, conféré par le bail commercial, de pouvoir se maintenir dans le local en contrepartie d’un loyer.
Le commerçant qui exploite un fonds de commerce peut librement décider de céder son fonds de commerce avec l’ensemble des éléments qui le composent : l’enseigne, la clientèle, les outils de production et le bail commercial. Le commerçant peut aussi décider de céder isolément son bail commercial : on parle alors de cession de droit au bail ou de cession de bail.
C’est donc une différence d’objet qui constitue la distinction essentielle entre la cession de droit au bail (ou cession de bail) et la cession de fonds de commerce :
- Dans la cession de fonds de commerce, le commerçant cède l’ensemble des éléments composant le fonds, aussi bien corporels (outils…) qu’incorporels (clientèle, bail…) ;
- Dans la cession de bail, le commerçant ne cède que le bail, sans la clientèle, l’enseigne, ni aucun autre actif composant le fonds.
En revanche, dans les deux cas, il y a bien un changement de locataire du point de vue du bailleur : le cessionnaire reprend les droits et obligations du cédant, et sera tenu de payer le loyer.
Baptiste Robelin, associé du cabinet NovLaw Avocats, spécialisé en droit immobilier et cession de fonds de commerce, vous propose ses conseils, étape par étape, pour réussir votre cession de bail en toute sécurité.
La valorisation du droit au bail
Sur le principe, la cession de bail peut s’opérer aussi bien à titre onéreux qu’à titre gratuit. Cependant dans la majorité des cas, le droit au bail ayant une valeur patrimoniale puisqu’il constitue un actif du fonds de commerce, il sera cédé en contrepartie du paiement d’un prix.
La valeur du droit au bail est déterminée en fonction du montant du loyer et des charges prévus dans le contrat de bail, en comparaison avec les prix du marché locatif environnants.
- Si le loyer du bail est inférieur au prix du marché locatif environnant, le bail aura une valeur plus importante ;
- Inversement, si le loyer du bail est supérieur au prix du marché locatif environnant, le bail aura une valeur minorée ;
À partir de ces principes de base, le droit au bail est généralement valorisé grâce à la méthode dite de « l’économie de loyer ».
- Prenons l’exemple d’un bail commercial dont le loyer annuel serait de 100.000 euros, et renouvelé trois ans auparavant (il reste donc 6 ans à courir) ;
- Supposons maintenant que, selon le prix du marché locatif environnant, le local à céder a une valeur locative « marché » de 130.000 euros annuels ;
- La différence entre le prix du marché et le prix réel du bail est ainsi de 30.000 euros ;
- Ainsi, chaque année, le locataire situé à cet emplacement « économise » environ 30.000 euros de loyer par rapport au marché locatif environnant ;
- Avec une projection sur 6 ans (durée du bail restant à courir), la valeur du bail devrait donc être d’environ 180.000 euros [Economie de loyer (30.000) x 6]
Naturellement, c’est un calcul purement théorique, pour obtenir un premier repère chiffré. Beaucoup d’autres facteurs entreront en ligne de compte pour pondérer le prix de cession.
On appliquera notamment la loi de l’offre et de la demande : dans une rue très commerçante et prisée où il est difficile de trouver un emplacement libre, le droit au bail aura nécessairement plus de valeur que dans une rue sans trafic.
Les caractéristiques juridiques du bail seront ensuite importantes, notamment l’équilibre des obligations entre bailleur et locataire.
Sur ce point, la clause de destination du bail est essentielle : un bail « tous commerces » aura toujours plus de valeur qu’un bail avec destination spécifique. C’est normal, dès lors que le commerçant disposera alors de plus de facilités pour trouver un repreneur.
Supposons par exemple que trois acquéreurs soient intéressés : un boucher, un restaurateur, un assureur. Le vendeur du bail « tous commerces » pourra en quelque sorte faire « monter les enchères » et choisir le mieux-disant.
Inversement, si le bail ne permet qu’une activité de boucherie, le commerçant n’aura qu’un seul candidat, et donc peu de marge de manœuvre en termes de négociation du prix.
Enfin, rappelons que dans une cession de droit au bail, l’objectif est avant tout l’installation dans un local. Ainsi, comme pour tout bien immobilier, les caractéristiques matérielles du magasin seront évidemment essentielles pour fixer le prix de cession.
On s’intéressera notamment à la surface exploitable de la boutique, la largeur de la vitrine, l’état du local, aux travaux de rénovation éventuels, à la présence d’une cour, d’une cave, etc. autant d’éléments qui entreront naturellement en ligne de compte pour fixer le prix de cession.
L’accord du bailleur
S’agissant du bailleur, il existe une différence essentielle entre la cession de droit au bail et la cession de fonds de commerce : il est en effet possible d’interdire une cession isolée du bail, alors que le Code de commerce prohibe les clauses du bail interdisant la cession du fonds de commerce.
Ainsi, on retrouve dans pratiquement tous les baux une clause d’interdiction de cession isolée du bail, ce qui implique qu’il faudra nécessairement obtenir l’accord du bailleur avant la cession.
En pratique, on proposera généralement au bailleur un candidat cessionnaire, avec le projet d’activité envisagée.
Si le bailleur donne un accord de principe, on signera ensuite une promesse de cession de droit au bail sous condition suspensive d’accord du bailleur. Et ce n’est qu’une fois l’accord formel du bailleur obtenu que l’on pourra après procéder à la cession.
Généralement, on en profitera pour demander au bailleur un renouvellement du bail au profit du cessionnaire.
Ce dernier point est fondamental notamment si le fonds de commerce n’a pas été exploité pendant les 3 dernières années précédant la cession.
En effet, l’article L. 145-8 du Code de commerce dispose que, pour que le droit au renouvellement du bail puisse être invoqué par le locataire, le fonds doit impérativement avoir fait l’objet d’une exploitation effective au cours des 3 années qui ont précédé la date d’expiration du bail ou de sa reconduction.
Ainsi, si le bail cédé dépend d’un fonds de commerce n’ayant pas fait l’objet d’une exploitation effective pendant 3 ans précédents la cession du bail, et que le bail est sur le point de venir à expiration, il sera impératif d’obtenir une promesse du bailleur de renouveler le bail venant à expiration.
À défaut, l’acquéreur n’aura pas droit au renouvellement et pourrait être contraint de quitter les lieux à l’expiration du bail, sans indemnité d’éviction.
Les agents immobiliers et parties à la cession d’un droit au bail doivent être particulièrement vigilants sur ce point.
La déspécialisation du bail
Comme on l’a vu, la différence entre une cession de bail et cession de fonds de commerce est une différence d’objet : dans une cession de bail, le cessionnaire ne reprend pas l’activité du cédant, ni la clientèle, ni l’enseigne.
Ceci signifie que dans la grande majorité des cas, la cession de bail s’accompagne d’un changement d’activité, le cessionnaire exerçant une activité différente de celle de son vendeur.
C’est un point très important, car, dans la négociation avec le bailleur, il faudra la plupart du temps former une demande de déspécialisation, pour modifier la clause de destination.
Rappelons que deux formes de déspécialisation sont prévues par le Code de commerce :
- La déspécialisation partielle, lorsqu’il s’agit seulement d’adjoindre une activité connexe et complémentaire à l’activité principale du bail (L. 145-47 du Code de commerce) ;
- La déspécialisation plénière ou totale, lorsqu’il s’agit d’un changement complet d’activité (L. 145-48 et suivants du Code de commerce).
Ces procédures de déspécialisation sont très encadrées par le Code de commerce.
Toutefois, en pratique, dans une cession de droit au bail, les parties procèderont à une négociation directe avec le bailleur, sans passer par ces dispositions. Tout sera en réalité une question de rapport de force économique et la plupart du temps, les discussions se solderont soit par une augmentation de loyer exigée par le bailleur, soit par une indemnité (sorte de droit d’entrée) que le bailleur demandera au repreneur, voire les deux.
Évidemment, plus le bailleur sera exigeant, plus le bail commercial perdra de la valeur, ce qui pourra impacter les négociations sur le prix de cession avec le cédant.
Supposons par exemple que le prix de cession initialement négocié était fixé à 100.000 euros.
Imaginons ensuite que le bailleur sollicite une indemnité de 50.000 euros pour autoriser l’opération et permettre le changement d’activité sollicité par le cessionnaire. Ce dernier ira vraisemblablement voir son vendeur pour négocier une diminution du prix de 50.000 euros. Ainsi, ce qui passera dans la poche du bailleur n’ira pas dans celle du cédant…
La cession de bail constitue donc une véritable négociation tripartite, dans laquelle la position du bailleur est déterminante.
Là encore, la clause de destination « tous commerces » est toujours un avantage pour le locataire, puisqu’on comprend que le bailleur sera en quelque sorte « évincé » des négociations, dans la mesure où aucune demande de déspécialisation ne sera nécessaire.
C’est pourquoi lors de la rédaction du bail commercial, on conseille toujours au bailleur de fixer une destination très précise et étroite, pour être en position de force dans des négociations futures en cas de changement d’activité ; alors qu’au contraire, côté locataire, on cherchera à obtenir la destination la plus large possible, pour bénéficier de souplesse en cas de cession.
La promesse de cession de droit au bail
Dès lors que les parties auront fixé le prix de cession du bail, et qu’un accord de principe aura été obtenu vis-à-vis du bailleur pour autoriser l’opération et permettre éventuellement le changement d’activité, il faudra formaliser l’accord des parties.
En pratique, la cession suit généralement deux actes : la promesse, puis, si les conditions suspensives sont levées, l’acte définitif de vente.
Au stade de la promesse, on retrouve généralement les conditions suspensives suivantes :
Clause de financement
Dans la majorité des cas, le cessionnaire souhaitera financer l’acquisition du bail avec un crédit bancaire et l’opération sera donc assortie d’une condition suspensive d’obtention du financement. Sur ce point, on conseille aux parties d’être le plus précis possible pour éviter que le cessionnaire ne puisse tenter de sortir du compromis en prétextant ne pas avoir obtenu le financement nécessaire.
On indiquera ainsi le montant du prêt sollicité, le taux d’intérêt et la durée d’emprunt. Surtout, on obligera le cessionnaire à voir plusieurs Banques (au minimum 3 en général) voire même, à recourir aux services d’un courtier professionnel, afin de maximiser ses chances d’obtenir son crédit.
On recommande également d’inscrire dans la promesse certaines déclarations du cessionnaire, notamment le montant de son apport (pour vérifier qu’il ait bien une chance d’obtenir son crédit) et des garanties selon lesquelles il n’a jamais fait l’objet d’une interdiction de gérer ni d’une liquidation : on sait qu’à défaut, ses chances d’obtenir un financement seraient pratiquement nulles.
L’idée est d’éviter que le vendeur n’immobilise inutilement son bail pendant plusieurs semaines.
Indemnité d’immobilisation
Même objectif que vu précédemment. Pour éviter que le cédant n’immobilise son bail sans contrepartie, on prévoit généralement une indemnité d’immobilisation d’environ 10% du prix de cession. Ainsi, si le cessionnaire refusait par la suite de réaliser la vente alors même que toutes les conditions suspensives ont été levées, il perdrait son indemnité d’immobilisation qui serait remise au cédant.
Pareillement, pour protéger le cessionnaire contre un « caprice » du vendeur, on peut prévoir une clause pénale de 10% du prix de cession : ainsi si le vendeur refusait finalement de s’exécuter alors que les conditions suspensives sont levées, il serait tenu d’indemniser son acquéreur.
Notification au bailleur
Comme on l’a vu, on commence généralement les négociations d’une cession de bail en négociant avec le bailleur un accord de principe sur l’opération et l’éventuel changement de destination.
Après la promesse, il faudra formaliser ces démarches et recueillir l’accord exprès du bailleur, avec un engagement formel et ferme de sa part. La promesse de cession de bail sera ainsi conditionnée à l’autorisation du bailleur.
De même, l’éventuel renouvellement du bail négocié avec le bailleur, la modification possible du loyer et le changement de destination seront conditionnés à la réalisation effective de la cession (à défaut, le vendeur pourrait se trouver avec un bail modifié, ne correspondant plus à son activité, alors même que la cession n’aurait pas lieu).
Purge du droit de préemption de la commune
Si la commune s’est octroyée un droit de préemption sur le lieu de situation du local (article L. 214-1 et suivants du Code de l’urbanisme), comme pour une cession de fonds de commerce, il faudra conditionner la cession de bail à sa purge préalable.
Après la promesse, le cédant devra ainsi adresser à la commune le projet de cession de droit au bail et le bail commercial, accompagné d’un formulaire en 4 exemplaires, soit par lettre recommandée avec avis de réception, soit par dépôt en mairie contre récépissé.
À réception, le maire ou son délégataire disposent de 2 mois pour préempter. Le silence de la commune équivaut à une renonciation.
Sort des salariés
Autre différence fondamentale entre la cession de bail et la cession de fonds de commerce, il n’y a pas de reprise des salariés du cédant par l’acquéreur du bail. C’est assez logique puisqu’il y a une modification d’activité. Ainsi, si le cédant était restaurateur et que le cessionnaire est un assureur, on imagine mal un sommelier vendre du jour au lendemain des produits financiers…
Ainsi, côté vendeur, si la cession de bail se traduit par un arrêt d’activité, il faudra nécessairement anticiper des formalités de licenciement (éventuellement pour motif économique).
Attention sur ce point : il est parfois tentant pour les parties de déguiser une cession de fonds de commerce en cession de bail pour éviter la reprise des salariés, voire pour contourner l’accord du bailleur.
Ce type de montage frauduleux est fortement déconseillé. Il sera en effet facile de démontrer la réalité de l’opération (surtout s’il n’y a pas eu de changement d’activité entre cédant et cessionnaire).
Si tel est le cas, les conséquences seront dramatiques pour les deux parties : risques de contentieux prud’homaux pour licenciement abusif, de résiliation du bail aux torts du locataire, de paiement de dommages-intérêts, redressement fiscal, etc. Bref, mieux vaut ne pas maquiller les opérations.
L’acte définitif de vente et les formalités de cession de droit au bail
Dès lors que toutes les conditions suspensives sont levées, les parties pourront procéder à la signature de l’acte définitif de cession de droit au bail. La signature pourra être réalisée soit sur format papier, soit sur format électronique si le notaire ou l’avocat dispose d’un système sécurisé adapté.
L’acte de cession en lui-même n’est soumis à aucun formalisme particulier. En revanche, après la signature, les parties devront signifier la cession de bail au bailleur, conformément à l’article 1690 du Code civil : à défaut la cession lui serait inopposable et le cessionnaire serait regardé comme un occupant sans droit ni titre.
Autre formalité obligatoire : la cession de bail doit obligatoirement être enregistrée, dans un délai d’un mois maximum après la signature, auprès de la recette des impôts du lieu de situation du local loué. Le cédant devra s’acquitter des droits d’enregistrement.
Côté cessionnaire, si la cession marque la fin de son activité, il devra faire radier sa société et procéder aux formalités nécessaires pour clôturer ses comptes.
Notez enfin que, contrairement à une cession de fonds de commerce, aucune publicité n’est obligatoire que ce soit au BODACC ou dans un journal d’annonces légales.
Et s’il est possible de prévoir un séquestre du prix, cela n’est pas obligatoire comme pour une cession de fonds de commerce, dans la mesure où il n’y a pas de période de solidarité fiscale entre cédant et cessionnaire.
En revanche, prévoir un séquestre sera fortement conseillé, notamment si le cédant a beaucoup de dettes et de créanciers inscrits (on veillera sur ce point à lever un état des nantissements et privilèges de la société du cédant au greffe du tribunal de commerce).
Attention à l’obligation de garantie du cédant à l’égard du cessionnaire
La grande majorité des baux commerciaux contient une clause de solidarité entre le cédant et le cessionnaire qui joue pour le paiement des loyers et charges, ainsi que l’exécution des obligations du bail.
Cette clause a pour effet de rendre le cédant codébiteur solidaire du cessionnaire à qui il cède le bail, vis-à-vis du bailleur. Le cédant sera donc tenu de payer les loyers et charges au lieu et place du cessionnaire si celui-ci faisait défaut vis-à-vis du bailleur.
La loi Pinel est venue encadrer la portée de cette garantie solidaire, désormais limitée à 3 ans maximum à compter de la cession du bail.
Notez qu’il est toujours possible de négocier avec le bailleur lors de la cession, pour circonscrire, voire supprimer, cette garantie. On pourra notamment proposer au bailleur des garanties alternatives, comme une garantie bancaire à première demande (GAPD), ou encore un cautionnement personnel.